L. Les pratiques de collaboration entre professionnels
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« Aucun de nous ne sait ce que nous savons tous, ensemble. »
Euripide (480 av. notre ère)
Introduction et buts
La profession enseignante se transforme au rythme des évolutions du système éducatif. Auparavant cloisonné et solitaire, le métier exige aujourd’hui de répondre à des prescriptions orientées vers l’action collective (professionnalisation). Ce renouvellement des formes de travail, loin de la figure traditionnelle de l’enseignant seul dans sa classe, entraîne de nouveaux défis pour les praticiens. Malgré les craintes et les résistances, il s’agit d’ancrer concrètement le travail collaboratif comme une réelle pratique professionnelle. Toutefois, entrer dans une logique de décloisonnement est un processus complexe, qui demande du temps et des ressources.
Collaborer, c’est reconnaître l’interdépendance entre professionnels au sein d’un espace et d’un temps de travail partagés. Dans un environnement structuré, les enseignants sont alors amenés à construire une démarche conjointe autour d’objectifs communs. Pour favoriser une bonne cohésion et afin que les échanges soient bien régulés, il est préférable de baser les relations sur un rapport égalitaire de réciprocité et de complémentarité entre les différents acteurs.
Ces moments d’échanges peuvent revêtir des formes plurielles (réseaux, groupes de travail, réunions, etc.) pour des objectifs variés (voir ci-après exemple dans l’encadré).
Travailler de manière collaborative entre acteurs éducatifs (enseignants, direction, éducateurs, conseillers pédagogiques, etc.) permet de manière générale notamment :
- la création d’espaces d’expression et de participation (échanges de points de vue, partage des difficultés relatives aux pratiques quotidiennes, etc.) ;
- une mise en synergie des compétences et des ressources (p. ex. échange de pratique) ;
- le développement d’une vision globale et plus complexe des situations via l’émergence d’une intelligence collective (circulation des savoirs, analyse réflexive, pensée critique, etc.) ;
- la mise en cohérence des activités pédagogiques ;
- la réalisation d‘actions concrètes (p. ex. projets, développement d’outils, prise en charge) ;
- une meilleure connaissance des différents acteurs et de leurs ressources ;
- le renforcement des liens entre l’école et les services professionnels (p. ex. groupe interdisciplinaire) ;
- un sentiment de reconnaissance et de soutien entre acteurs.
Déroulement pratique
Il importe tout d’abord de rappeler que le travail collaboratif s’inscrit dans le cadre de directives institutionnelles et fait partie du référentiel de compétences de tous les acteurs de l’école. En même temps, les moyens et les temps pour la collaboration doivent être planifiés et organisés, sans quoi celle-ci sera difficile à développer compte tenu de toutes les contraintes (horaires) et autres priorités existant à l’école.
Il s’agit de définir les thèmes et domaines de collaboration à privilégier, ainsi que les moyens à mettre en œuvre. On travaillera à clarifier entre autres :
a) Quels sont les résultats souhaités ?
b) Quelles formes de collaboration?
- transmission d’informations ;
- coordination ;
- collaboration plus ou moins ponctuelle ;
- coopération d’équipe dans la durée.
c) Quand durant l’année ?
- ponctuellement ;
- dans la continuité.
d) Quelles ressources ? Quelles conditions pour que cela marche ?
e) Avec quel caractère plus ou moins contraignant (obligation de collaboration)?
f) Avec qui ? Quels professionnels concernés ?
g) Comment ? Quelle forme d’animation du travail de groupe ? Par qui ? Quels rôles à assurer ? Quelle répartition des rôles ? Quelles méthodes de travail ?
Concernant les modalités de travail et l’animation du groupe, il est utile, lorsque plus de trois ou quatre personnes sont concernées, de préparer et faciliter les séances et d’en déterminer les objectifs (voir encadré ci-après). Il s’agit notamment de :
- prévoir une information claire avant la rencontre ;
- choisir les bonnes méthodes en fonction des objectifs visés ;
- gérer le temps ;
- veiller à rester dans le sujet et éviter les digressions inutiles ;
- permettre à chaque participant de s’exprimer ;
- faire des synthèses qui permettent de valoriser la production ;
- faire un bilan de la séance.
La personne qui anime a pour fonction première de faciliter la production par le groupe et de garder une vision d’en-semble des différentes dimensions et tâches nécessaires. Cela comprend :
- sens partagé : clarification des buts (pour quoi on se réunit, adhésion aux objectifs) ;
- organisation : préparation de la séance (ordre du jour, convocation, salle, matériel, etc.) ;
- déroulement (étapes et méthodes de travail, règles, gestion du temps) ;
- relations : facilitation de la communication (développement des liens, écoute et respect réciproques, circulation de la parole, climat, gestion des tensions) ;
- implication : mobilisation et valorisation des ressources de chacun, reconnaissance des besoins, différences et complémentarités ;
- production : synthèse (tri des propositions, résumé de la discussion, etc.) ;
- bilan (aide à l’évaluation du travail effectué et du fonctionnement du groupe) ;
- articulation avec l’environnement (relations avec les personnes extérieures concernées) ;
- suivi du travail dans la durée (mise en œuvre des décisions, circulation des informations, etc.).
Facteurs clés de succès
Pour mettre en place de bonnes conditions au travail collaboratif, il est utile de :
- formaliser des temps d’échanges pour en favoriser la constance et la durabilité ;
- développer un sens partagé entre les acteurs et des objectifs clairs, réalisables (p. ex. lien avec les pratiques enseignantes) ;
- organiser le temps et les modalités d’interactions (définition des rôles de chacun) ;
- favoriser le sentiment de sécurité et de confiance mutuelle ;
- clarifier le pouvoir décisionnel du groupe et sa marge de manœuvre ;
- avoir une direction qui assume un rôle actif dans le développement d’une dynamique de collaboration (intentions claires, participation, soutien, promotion d’une culture d’interaction comme projet d’établissement).
Risques et difficultés
Il s’agit d’identifier certains obstacles pour mieux les anticiper :
- le manque de temps et de soutien pour le travail collaboratif ;
- la persistance d’une culture de travail en individuel ;
- le manque de motivation, d’engagement, d’organisation ;
- de mauvaises communications et des tensions entre collaborateurs mal gérées ;
- la « juxtaposition » des professionnels : communication strictement fonctionnelle qui ne favorise pas la coopération.
En résumé
Dans le milieu éducatif, une collaboration « idéale » entre partenaires contribue au développement professionnel de chacun et aux transformations des pratiques éducatives, notamment grâce à la complémentarité des expertises. Pour cela, il apparaît indispensable d’avoir un positionnement clair et un soutien visible de la direction afin que tous les acteurs comprennent en profondeur les enjeux liés aux travaux collectifs (légitimité et posture). Pour construire une véritable culture professionnelle valorisant les dynamiques collectives, il s’agit de dépasser les représentations individualistes du métier, afin que chacun s’engage pour l’amélioration de la qualité des pratiques dans un esprit d’interdépendance.
Quelques questions générales à se poser Quels sont les espaces et activités de collaboration entre professionnels mis en place dans l’école ? Quels contenus ? Sur quoi portent-ils ?
Quels sont les modalités organisationnelles de ces temps collaboratifs ? Quels en sont les finalités concrètes ? Quelles satisfactions, quels bénéfices, qu’est-ce que cela apporte (pour les professionnels, les élèves, les parents, l’école) ? Quelles insatisfactions, quels résultats escomptés ne sont pas atteints ? Existe-t-il des indicateurs d’efficacité ? |
Divers types d’objectifs spécifiques à clarifier dans une séance de travail (par ordre de complexité croissante)
Faire un bilan d’un temps de coopération ou d’une séance de travail en groupe ou en équipe
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Références
Développer la coopération en groupe ou en équipe : http://www.cooperer.org.
Letor, C. (2009). Comment travailler en équipe au sein des établissements scolaires ? Bruxelles : De Boeck.
Marcel, J.-F., Bagnoud, D. & Tardif, M. (2007). Coordonner, collaborer, coopérer : de nouvelles pratiques enseignantes. Bruxelles : De Boeck.
Meyer, J-C. (2017). Le travail collaboratif pourquoi ? Comment ? Paris : ESF.
Portelance, L., Borges, C. & Pharand, J. (2011). La collaboration dans le milieu de l’éducation. Québec : Presses Universitaires du Québec.